Dans les années 1960, le Canada français affirme un programme politique d’autonomie dans la politique, l’économie et la culture. Le Québec en particulier affirme une vision nationaliste interne à sa province sous le slogan “Maitres chez nous”. Le gouvernement fédéral réagit en lançant une Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme afin de faire enquête sur les relations entre les deux grandes langues publiques canadiennes: l’anglais et le français. En Alberta, un nouveau vent souffle en éducation et dans la vie politique.
Éducation
Après presque 80 ans de suppression de l’enseignement français, les années 1960 représentent le début de l’assouplissement des règlements en éducation. En avril 1968, le gouvernement albertain autorise l’enseignement en français pendant la moitié de la journée scolaire. En 1976, la province permet l’utilisation du français comme langue d’enseignement pendant 80 % de la journée. De 1968 à 1982, un nombre toujours grandissant de jeunes élèves anglophones vont étudier le français dans les 27 écoles bilingues de l’Alberta qui seront désignées comme écoles d’immersion française. Ces mesures redressent l’enseignement de la langue, mais pas le passage de la culture. Les élèves francophones doivent attendre le rattrapage des élèves apprenant le français pour la première fois.
Charte canadienne des droits et libertés
En 1982, le gouvernement canadien rapatrie la constitution canadienne et y insère la Charte canadienne des droits et libertés. À l’article 23, on garantit trois droits : le droit à l’instruction dans la langue de la minorité, le droit aux établissements d’enseignement et le droit à la gestion de ces établissements.
Mais l’interprétation de ce que veut dire ces droits diffère entre les francophones et les autorités gouvernementales et scolaires. En 1983, un groupe de parents sous la bannière de l’Association de Georges et Julia Bugnet décide de poursuivre la province de l’Alberta. En même temps, l’école non-confessionnelle privée Georges et Julia Bugnet ouvre ses portes à Edmonton. Un groupe de parents forme un comité ad hoc dans le but d’obtenir une école française catholique publique. Donc, l’école Maurice-Lavallée à Edmonton et l’École Saint-Antoine à Calgary sont ouvertes en 1984 et l’école Héritage à Jean-Côté en 1988. Avec la victoire dans le cas Mahé/Bugnet devant la Cour suprême du Canada en 1990, plusieurs écoles s’ouvrent partout en province. La décision Mahé/Bugnet confirme les droits énumérés ci-haut, et affirme la gestion des écoles pour et par les parents ayant ces droits. Plusieurs années de conflit et de négociation aboutissent avec l’amendement de la Loi scolaire comme première loi introduite par le nouveau Premier ministre Ralph Klein en 1993. En date de 2017, il y a 40 écoles francophones en Alberta desservant plus de 7 000 élèves et gérées par quatre conseils scolaires.
Le français et la politique
En 1964, l’Assemblée législative adopte l’incorporation de l’ACFA qui fait de cette association la porte-parole officielle de la francophonie albertaine. En 1981, le père André Mercure affirme devant les tribunaux que l’article 110 de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest est toujours en vigueur en Alberta, voulant dire que l’Alberta est tenue au bilinguisme judiciaire et législatif. En attendant une décision, le député provincial franco-albertain Léo Piquette fait les manchettes en posant une question en français à l’Assemblée législative à la ministre de l’Education Nancy Betkowski. Le président de l’Assemblée, David Carter, lui dit les mots iconiques : « En anglais s’il-vous-plait! ». Plus de 500 personnes de tout âge et de chaque région manifestent leur soutien envers M. Piquette devant le palais législatif. Un comité d’étude est mis sur pied et décide de permettre l’utilisation de toutes les langues y compris le français en attendant le résultat de la Cour suprême du Canada. Le 25 février 1988, la Cour suprême du Canada décide que l’article 110 est toujours en vigueur, mais que la province peut adopter une loi pour renverser l’obligation, ce qu’elle fait le 7 juillet avec la Loi linguistique de l’Alberta qui rend l’anglais la seule langue officielle. On adopte une procédure à l’Assemblée législative que le français peut être utilisé dans la législature si on donne un préavis de deux heures et qu’une traduction anglaise soit remise aux députés. En 2015, M. Gilles Caron oblige la Cour suprême de revoir la légalité de la Loi linguistique de 1988 et la Cour suprême affirme le statu quo. Finalement, en juin 2017, le gouvernement albertain adopte une Politique en matière de francophonie, reconnaissant les langues officielles du Canada, la communauté francophone de l’Alberta et l’importance d’offrir des services en français là où le besoin se manifeste.
Éducation
Trois écoles s’ouvrent successivement au lac Sainte-Anne en 1859, et à la mission du lac La Biche et fort Edmonton en 1862. Ces premières écoles marquent le début de l’éducation catholique et française en Alberta. Même si les Territoires du Nord-Ouest sont formés en 1870, ce n’est pas avant 1875 qu’une loi reconnaisse le droit aux écoles catholiques. Mais en 1892 une ordonnance fait de l’anglais la langue obligatoire d’enseignement dans les territoires. Ce n’est pas avant 1925, que le français est autorisé de la troisième à la huitième année pour une période ne dépassant pas une heure par jour. L’enseignement dans les institutions privées telles que le Juniorat Saint-Jean (établi en 1908), le Collège des Jésuites (fondé en 1913) et l’Académie Assomption (fondée en 1926) peut se faire en français. La communauté s’organise par le biais de l’Association canadienne française de l’Alberta qui crée l’Association des instituteurs bilingues de l’Alberta (AIBA) en 1926 pour le soutien pédagogique (devenu l’Association des éducateurs bilingues de l’Alberta (AEBA) en 1946). Ces derniers s’occupent bénévolement du développement des programmes d’études, de l’évaluation, de la formation des maîtres et de la création d’activités culturelles de tous genres. Ils organisaient également un concours de français écrit à chaque année et pour les étudiants francophones de la 3e à la 12e année. Les résultats des élèves étaient dévoilés dans le journal provincial franco-albertain, La Survivance pour consommation publique.
Monde associatif
Après plusieurs tentatives d’organisation de sociétés canadiennes-françaises modelées d’après des sociétés québécoises, la communauté franco-albertaine s’organise. Le 13 décembre 1925, 400 délégués convoqués par le Cercle Jeanne-d’Arc et les Chevaliers de Colomb lancent l’idée d’une association pour la protection de la langue française et de la culture francophone en Alberta. L’Association canadienne-française de l’Alberta est alors fondée en 1926 et compte des membres dans jusqu’à 42 différentes paroisses francophones partout en Alberta. En 1925, « les Bonnes amies » est fondé par cinq filles, suivi par le groupe les Jeunes Canadiens qui rassemble les jeunes garçons. Ces groupes sociaux animent les jeunes pendant 25 ans.
La Survivance
Du côté des journaux, plusieurs sont publiés dès 1898, mais La Survivance occupe une place toute particulière. En effet, ce journal provincial est lancé par l’Association canadienne-française de l’Alberta en 1928 et se métamorphose au cours des années et change trois fois de nom. Dans sa première incarnation, l’hebdomadaire paraît sous le nom La Survivance de 1928 à 1967. Il acquiert un nouveau nom, soit Le Franco-Albertain, de 1967 à 1979 pour finalement devenir Le Franco actuel.
CHFA
Pendant les années 1940, le projet d’une radio française en Alberta excite l’imagination à tel point que 45 000 Franco-Albertains amassent 140 000 $ pour aider à la création de leur propre station radiophonique. Malgré une campagne de mobilisation en opposition du français sur les ondes, l’inauguration de CHFA a lieu à Edmonton au théâtre Garneau le 20 juin 1949. La station poursuivra sa vocation de diffuseur privé jusqu’en 1973. Les coûts d’exploitation devenant alors trop élevés, la CBC/Radio-Canada achète CHFA et l’opère encore aujourd’hui.
Droits linguistiques
Depuis 1835, l’administration civile, les tribunaux et l’enseignement dans l’Ouest canadien se faisaient en français et en anglais. Et après 1877, l’article la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest reconnaissait le français était une des langues officielles des Territoires du Nord-Ouest. En 1888, l’opposition à la reconnaissance officielle du français est devenue très vocale en faveur d’une reconnaissance de l’anglais comme seule langue du territoire. En 1892, malgré la présence d’une minorité francophone forte dans l’ensemble du Nord-Ouest, l’assemblée territoriale a changé ses règlements pour abolir l’usage du français comme langue du gouvernement, des tribunaux et de l’éducation. Depuis la création de la province jusqu’aux années 1960, il n’y a pas eu de changement important au statut juridique du français en Alberta.
Établissement
Entre 1885, la population francophone représentent le tiers des langues colonisatrices et 60% dans le nord de la province. Il est à noter qu’il y a un certain nombre de Premières nations qui peuvent parler le français, mais ils n’ont pas été énumérés pour la langue. Le français a perdu beaucoup de force dans les 30 ans qui ont suivi, parce que le Canada a réussi à organiser une immigration de plus de 3 millions de nouveaux arrivants vers l’Ouest. Entre 1885 et 1921, l’Alberta a passé d’environs 15 500 à presque 600 000 résidents, tandis que la population francophone a passé de 2 000 à environs 25 000. Un très grand nombre des nouveaux arrivants francophones étaient des Canadiens français qui ont tenté leur chance dans les villes industrielles de la Nouvelle Angleterre et ont saisi l’occasion de s’établir à nouveau sur des terres agricoles situé dans des enclaves francophones comme Saint-Albert, Vegreville, Plamondon, Morinville, Legal, Beaumont, Bonnyville, Saint-Paul et ainsi de suite. Une autre tranche de la population quittait la France et la Belgique pour les mêmes raisons pour s’établir dans des villages comme Trochu et Bellevue.